Dis René, on est quoi ?

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La méthode cartésienne appliquée à la refonte de notre identité

« Je pense, donc je suis », écrivait Descartes dans le Discours de la méthode. Fort bien, poursuivait-il dans les Méditions métaphysiques, « mais je ne connais pas encore assez clairement ce que je suis, moi qui suis certain que je suis ».

En tant qu’organisation, vous savez que vous êtes (laissons Shakespeare en dehors de tout ceci, voulez-vous ?), mais savez-vous ce que vous êtes ? Connaissez-vous vraiment votre propre identité ? Ou même, êtes-vous encore en accord avec celle que vous avez définie et que vous continuez d’afficher ?

Vous avez peut-être déjà fait cet exercice une fois. Peut-être même plusieurs. Et vous vous êtes posés mille questions. Par où est-ce qu’on commence ? Comment est-ce qu’on procède ? Qu’est-ce qu’on cherche à clarifier, exactement ? Est-ce qu’on fixerait une réunion ? Est-ce que 9 h 30 convient à tout le monde ? Est-ce qu’on irait prendre un café ?

Nous aussi. Dans l’histoire de Cartoonbase, l’exercice a été fait 5 fois selon la police, 11 selon les manifestants. 

La dernière fois qu’on s’y est attelé, on a décidé d’essayer quelque chose de légèrement différent. On a invité Descartes dans nos réflexions.

Et voici comment.

Les quatre règles de la méthode

Dans le Discours de la méthode (1637), Descartes se demande quelles sont les règles à suivre pour produire des raisonnements vrais. Est vrai, pour Descartes, ce qui est clair et distinct, ce qui a le caractère de l’évidence. À l’inverse, l’erreur est du côté de l’obscur, du côté de ce qui est mêlé, mélangé, confus.

Quatre règles permettent de produire des raisonnements vrais.

  1. La règle de l’évidence : « ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne la connusse évidemment être telle »
  2. La règle de l’analyse : « diviser chacune des difficultés que j’examinerais, en autant de parcelles qu’il se pourrait, et qu’il serait requis pour les mieux résoudre »
  3. La règle de l’ordre : « conduire par ordre mes pensées, en commençant par les objets les plus simples et les plus aisés à connaître, pour monter peu à peu comme par degrés jusques à la connaissance des plus composés »
  4. La règle du dénombrement : « faire partout des dénombrements si entiers et des revues si générales, que je fusse assuré de ne rien omettre »

En d’autres termes, plutôt que de prendre un énoncé pour argent comptant, Descartes nous invite à le mettre en doute, à le diviser en éléments simples, à constituer une chaine de sens à partir de ces éléments simples, et une fois cette chaine constituée, à s’assurer qu’on n’ait rien oublié.

C’est cette méthode que nous avons appliquée à la (re-)définition de notre identité. Notre objectif : aboutir à un portrait qui nous ressemble, qui soit nous, vraiment nous, parce qu’il a le caractère de l’évidence.

Portrait

Règle n° 1 « ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne la connusse évidemment être telle »

Le département contenu trouvait très énervant que notre discours sur nous-mêmes soit si bigarré. Le service des ventes trouvait, au contraire, indispensable qu’on ait des éléments de langage adaptés à toute situation. Quant à la direction, elle trouvait parfaitement normal que l’entreprise évolue avec le temps, et donc que sa façon de se présenter évolue également. D’après elle, il est même essentiel qu’une organisation s’adapte en permanence à son environnement. Et il est tout aussi essentiel qu’elle prenne du recul, de temps en temps, pour redéfinir ses traits de caractère. (Oui, ils sont très forts.)

On a commencé par rassembler tout ce qu’on trouvait sur nous. Sur notre site, dans nos présentations, nos pitches… Et on a trouvé beaucoup, beaucoup de choses.

De tous les éléments de langage qu’on a récoltés, on le sentait, tout n’était pas à jeter. Mais on n’arrivait pas à déterminer les critères à utiliser pour décider lesquels devaient être conservés. Ce que nous n’avions pas, c’était un cadre qui aurait permis d’inscrire ces éléments dans un tout cohérent, une trame qui aurait permis de les lier les uns aux autres. Ce qui nous manquait, c’était un récit, une histoire.

 

Règle n° 2 « diviser chacune des difficultés que j’examinerais, en autant de parcelles qu’il se pourrait, et qu’il serait requis pour les mieux résoudre »

On a donc décidé de prendre le problème à l’envers. Plutôt que de remonter des éléments du langage vers un noyau, on a choisi de commencer par construire un récit dont on allait pouvoir déduire les énoncés qu’on devait formuler. Pour ce faire, on a « divisé » notre quête d’identité en « parcelles » ou éléments simples, qu’on a conçus comme autant de questions.

  1. Qui sommes-nous ?
  2. Que faisons-nous ?
  3. Pour qui le faisons-nous ?
  4. Pourquoi le faisons-nous ?
  5. Comment le faisons-nous ? 
  6. Qu’est-ce qui nous rend uniques ?
  7. En quoi croyons-nous ?

Les réunions se succédaient, les réponses aux questions se précisaient. 

Jusqu’à ce qu’on se retrouve bloqué, exactement à mi-parcours, alors qu’on abordait le « pourquoi ? ».

Nos réponses à la question « Pourquoi le faisons-nous ? » partaient dans des directions très différentes. En appliquant un peu de rigueur à nos réflexions, on s’est rendu compte que le problème résidait dans le double sens de la conjonction « pourquoi ». À bien y réfléchir, toute question qui commence par « pourquoi ? » peut donner lieu à au moins deux types de réponses. Certaines commenceront par « Pour… » et indiqueront un objectif, une finalité. D’autres commenceront par « Parce que… » et renverront à une raison ou une cause. On a donc décidé d’éviter d’utiliser  « pourquoi ? » et de diviser la question 4 en deux parties, qui sont devenues les questions 4 et 5 (avec une légère modification de la question 6). 

  1. En vue de quoi est-ce que nous faisons ce que nous faisons ? Quel est notre objectif ?
  2. Quelle est la raison pour laquelle nous voulons atteindre cet objectif ?
  3. Comment allons-nous atteindre cet objectif ?
  4. Qu’est-ce qui nous rend uniques ?
  5. En quoi croyons-nous ?

On s’est imposé de répondre à ces questions avec une seule contrainte : essayer d’éviter au maximum les répétitions. Dès qu’une idée était classée sous une question, elle ne pouvait plus être utilisée ailleurs. Cette contrainte s’est avérée extrêmement utile. Elle nous a aidés à donner de la cohérence à notre histoire. Et elle nous a obligés à chercher plus loin quand était à court de matériel. En définitive, elle a servi de moteur à notre créativité.

Le processus était exigeant. Mais plus on avançait, mieux on s’en sortait. À tel point que les réponses aux questions 6, 7 et 8 paraissaient couler de source. Probablement parce que le récit, à ce stade-là, était déjà en place.

 

Règle n° 3 « conduire par ordre mes pensées, en commençant par les objets les plus simples et les plus aisés à connaître, pour monter peu à peu comme par degrés jusques à la connaissance des plus composés »

C’est à partir des réponses à ces éléments simples, à ces « parcelles », qu’on a construit un nouveau récit. 

Et c’est ce récit qui a servi de base à la formulation des énoncés de mission, de vision et de proposition de valeur. C’est sur ce cadre qu’on s’est appuyé pour donner de la cohérence aux éléments de langage qui allaient définir notre identité. À ce stade, il ne nous restait plus qu’à nous livrer à un pur exercice d’écriture. 

Plus précisément,

  • La mission a été travaillée à partir des questions 2 et 6 (quoi ? et comment ?)
  • La vision à partir de la question 4 (en vue de quoi ?)
  • La raison d’être à partir de la question 5 (pour quelle raison ?)
  • La proposition de valeur à partir de la question 7 (qu’est-ce qui nous rend uniques ?)
  • Et les valeurs elles-mêmes à partir de la question 8 (en quoi croyons-nous ?)

 

Règle n° 4 « faire partout des dénombrements si entiers et des revues si générales, que je fusse assuré de ne rien omettre »

C’est aussi de ce récit qu’ont pu être déduits les éléments qui allaient donner forme à notre identité de marque :

  • La présentation de notre entreprise en différents formats, du slogan à un premier argumentaire.
  • Des traits de caractère informant nos règles d’intonation et de rédaction.
  • Du texte pour les différentes sections de notre site internet et nos présentations. 

Est-ce qu’on a omis quelque chose ? Encore une fois, les circonstances peuvent nous obliger à nous repositionner. Lorsque c’est le cas, lorsqu’on doit présenter Cartoonbase sous un angle différent, dans un format différent, on fait très attention à revenir à l’essentiel, au récit de notre marque, et à repartir du noyau pour reformuler les choses. 

Est-ce qu’on était certains, à l’issue de cet exercice, de n’avoir rien omis ? Pas tout à fait. Encore une fois, il est normal que les circonstances nous forcent à nous repositionner. Quand c’est le cas, quand on doit présenter Cartoonbase sous un angle différent, avec un format différent, on s’assure de revenir à l’essentiel, à l’histoire de notre marque. 

Nous sommes…

Est-ce qu’on serait arrivé à un résultat très différent si on n’avait pas basé notre raisonnement sur Descartes ? Pas nécessairement. Raconter des histoires, c’est notre métier. Il n’y a pas de raison que nous n’appliquions pas la narration à nous-mêmes. 

Ceci étant, le fait de suivre les règles établies par Descartes nous a certainement aidés à clarifier nos pensées et à ajouter de la rigueur à nos raisonnements.  

Est-ce qu’on est tous d’accord, aujourd’hui, pour dire que cet exercice est terminé, une bonne fois pour toutes ? Non. À l’heure qu’il est, la direction, la rédaction, le marketing et les ventes sont toujours aux prises avec une virgule. 

Personne ne sait où cette bataille de ponctuation nous mènera. 

Mais le processus en valait certainement la peine.